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LALIT : dépénalisation de l’avortement à Maurice

18.08.2012


Les victoires, même partielles, ne sont pas légion ces temps-ci. En voici une que LALIT voudrait partager car il s'agit d'une nouvelle donne importante dans la lutte des classes et dans la lutte pour l’émancipation des femmes à Maurice. LALIT est le seul parti politique qui a, ces dernières décennies, mené une campagne en faveur de la dépénalisation de l’avortement. Finalement, le mois dernier, le Parlement a voté une nouvelle loi sur l’avortement qui remplace celle datant de 1838 et qui prohibait toute interruption de grossesse. A Maurice, tout le monde sait que LALIT est au cœur de ce combat car notre prise de position en faveur de la dépénalisation a souvent été utilisée « contre » nous. Cette victoire survient moins d’un an après une autre à mettre au crédit de LALIT : l’introduction à l’école, pour la toute première fois en 2012, des langues maternelles créole et bhojpuri.
La nouvelle loi sur l’avortement votée le mois dernier décriminalise l’interruption de grossesse, quand la santé de la femme est en danger, en cas de malformation du fœtus et en cas de grossesse résultant d’un viol, d’un inceste ou de relations sexuelles avec mineures. Mais cela veut surtout dire que, désormais, les femmes peuvent sans crainte parler d’avortement et, si jamais leur vie est en danger après une intervention illégale, elles pourront se rendre dans un milieu hospitalier pour des soins. Et la lutte pour la dépénalisation continue.
Le projet de loi a été présenté au Parlement moins de deux mois après que le mouvement féministe Muvman Liberasyon Fam (MLF) organise, dans deux cimetières, des cérémonies avec les familles de femmes décédées du fait que l’avortement était pratiqué clandestinement puisque illégal. Le MLF avait intensifié sa campagne en faveur de la dépénalisation de l’avortement ces trois dernières années, remettant en cause l’énoncé même de la loi archaïque faisant allusion à la femme étant « quick with child » [un terme distinct d’« être enceinte » pour marquer les premiers mouvements intra-utérins]. Lorsqu’une femme fut poursuivie en 2009 pour avortement illégal, le Directeur des poursuites publiques dut, face à la mobilisation féminine contre la formulation imprécise, abandonner les charges retenues contre elle. En 2011, il avoua publiquement que l’énoncé de la loi n’était pas suffisamment clair pour permettre l’arrestation et l’inculpation de femmes en se fondant sur l’expression « quick with child ». La jurisprudence établissait cette période autour de la vingtième semaine de grossesse mais le bureau du Directeur des poursuites publiques, pendant 174 ans, s'est contenté de la traduction française « enceinte ». Le MLF lança un Front commun sur l'avortement qui gagna en puissance.
Le décès d'une photographe-journaliste à la suite d'un avortement illégal renversa la balance de forces. Ses confrères et d'autres employés de la presse ne pouvaient plus cautionner la ligne éditoriale des propriétaires de groupes de presse, presse mauricienne historiquement liée à l'Église catholique.
La mobilisation de femmes derrière le projet de loi, même s'il s'agissait d'une dépénalisation partielle – mobilisation organisée en grande partie par des femmes membres de LALIT à la tête du MLF – amena l'adoption de la loi avec un scrutin parlementaire défavorable de 20% seulement. Un soutien massif obtenu au Parlement malgré une campagne qui pouvait laisser croire que « tout le monde » y était défavorable, ou alors que c'était peine perdue de s'opposer aux lobbys religieux.
Des douzaines de femmes se regroupèrent dans la galerie publique à chaque séance de débat parlementaire. Elles organisèrent des conférences de presse avant et après et assistèrent même aux séances après minuit. Une cérémonie aux flambeaux fut organisée à la mémoire des femmes décédées des suites d'un avortement illégal.
La mobilisation reçut le vibrant soutien du plus grand syndicat du secteur de la Santé : celui des infirmiers. Son leadership, avec Ashok Kallooa et Ram Nawzadick, et des représentantes de son aile féminine prirent ouvertement position en faveur du projet de loi et participèrent aux mobilisations. Le syndicat réclamait la dépénalisation totale et invitait toutes les femmes à se sentir libres à se rendre à l'hôpital. « Nous sommes là pour prendre soin de vous, pas pour vous juger », indiqua Ashok Kallooa. Il ajouta que les infirmiers sont ceux qui se retrouvent les premiers aux prises avec la souffrance résultant d'avortements clandestins. Comme presque tous les autres intervenants dans ce débat, il pointa du doigt la question de classe; les femmes pauvres pâtissent de manière disproportionnée de cette loi répressive par rapport à celles qui ont les moyens.
D'autres corps syndicaux apportèrent leur vif soutien, dont le Government Teachers' Union, ainsi qu'une fédération (la Fédération des Corps para-publics) de même qu'une grosse confédération (Confédération des Travailleurs du secteur privé). La mobilisation des féministes bénéficia également du soutien grandissant de la part d'organisations militant pour les droits humains et de celle du planning familial.
Étonnamment, de nombreux Parlementaires se prononcèrent en faveur d'une totale dépénalisation, se fondant sur l'argumentaire développée, notamment par LALIT et le MLF, durant des décennies de lutte. Autre fait surprenant, les Parlementaires de la plupart des partis adoptèrent une approche fortement laïque. Ils mirent en avant les questions de santé, de droits de l'homme et de la nécessité de promouvoir la laïcité de l'État. Les seuls partis se prononçant contre la loi n'ont chacun qu'un représentant au Parlement : le FSM (un parti fondamentaliste), le MMSD (un parti dirigé par un capitaliste dissident) et l'OPR (dont le dirigeant est un ancien prêtre catholique).
Deux partis votèrent à 100% en faveur du projet de loi même si aucune consigne de vote n'avait été imposée à leurs membres. Il s'agit du parti majoritaire, le parti Travailliste, et du plus grand parti de Rodrigues, le Mouvement Rodriguais dont les deux membres sont brillamment intervenus en adoptant le point de vue des femmes de la classe ouvrière dans la République mauricienne dans son ensemble. Au sein du PMSD, partenaire des Travaillistes, trois membres sur quatre votèrent en faveur de la loi de même que les trois-quarts de l'effectif du MSM, l'un des partis de l'opposition. L'autre parti de l'opposition, le MMM fit le pire score avec la moitié de ses Parlementaires se prononçant contre l'avortement à travers des discours si outrant que toute la presse les dénonça unanimement. Le MMM, le parti qui fut il-y-a-fort-fort-longtemps un parti de gauche, est désormais un bastion de la réaction.
L'un des élus du MMM, Jean-Claude Barbier, dans du jamais-vu-jamais-entendu, expliqua que Dieu lui avait personnellement soufflé à l'oreille ce qu'il fallait dire dans « l'auguste Assemblée ».
Alors que certains Parlementaires ressortaient l'argumentaire « meurtriers », une élue du MMM, Lysie Ribot, expliqua que les femmes qui se font avorter présentent également plus de risques d'avoir des accidents de la route et des cancers du col de l'utérus. Elle se hasarda dans une déclaration grotesque à l'effet que les femmes violées n'étaient pas susceptibles de tomber enceinte car leur ovulation serait « bloquée ».
Adil Meea, un autre élu MMM affirma que la religion était l'un des derniers remparts contre la dégénérescence et la dépravation. Bientôt, dit-il, on entendra parler de mariage entre personnes du même sexe.
Toutefois, les dérives de ces quelques élus réactionnaires sont marginales face au soutien massif en faveur de la loi, tant au Parlement que dans le pays. Un sondage d'opinion auprès des femmes, mené par une importante agence privée, révéla que les 2/3 des personnes interrogées y étaient favorables et que seuls 20% étaient contre, ce qui reflète les voix au Parlement.
LALIT, juillet 2012