Stratégies de la classe dominante dans la Région

et les tâches de mouvements sociaux

 

Le but de cet article est d'ouvrir un débat qui nous permettra d'analyser les stratégies qui sont élaborées par les classes dirigeantes et leurs idéologues dans la région, dans le contexte plus général de la globalisation néolibérale. Il nous sera nécessaire d'essayer de comprendre le plan général des bourgeoisies internationales et nationales et les forces politiques qui expriment leurs intérêts: nous serons informés des tendances communes dans notre région. Ces stratégies de la classe dominante ont évidemment un impact désastreux sur la vie quotidienne des travailleurs et préparent des jours très difficiles pour les jeunes. Mais cela ne se fera pas sans résistance: il y a des mouvements sociaux et politiques qui s'organisent progressivement pour s'opposer au plan destructeur des classes dirigeantes. Les classes dirigeantes nous disent que nous devons: “Nous Adapter ou Périr”; le peuple quant à lui dit : “Résister ou Périr.”  Notre tâche est de comprendre comment organiser la résistance parmi les masses, comment aller au-delà de simple réseaux de solidarité dans notre région et sur le plan international et finalement d'élaborer une alternative socialiste internationaliste à la globalisation néolibérale. 

 

Le contexte

 

Pour comprendre les stratégies des classes dirigeantes dans notre région, nous avons besoin d'analyser ces stratégies dans le contexte général de la globalisation: les classes dirigeantes et les forces politiques et sociales qui défendent leurs intérêts, ont adopté comme slogan : “S'Adapter ou Périr.” Les stratégies comme le NEPAD représentent exactement l'adaptation à l'idéologie  des “ Programmes d'Ajustement Structurel ” lesquels ont préparé le terrain à la présente étape de globalisation.

La nouvelle “ruée vers l'Afrique” des EUA ('USA) d'un côté et de l'Europe, emmenée par la France de l'autre, se manifeste par des traités commerciaux comme la Convention ACP-EU (Cotonou), l' African Growth and Opportunities Act (Acte de la Croissance et de l'Opportunité africaines) (AGOA) et par plusieurs Accords de libre-échange. La guerre Euro/Dollar n'a pas que les champs de pétrole d'Irak pour théâtre, mais tout autant l'Afrique. Les classes dirigeantes régionales ont aussi à ajuster leurs stratégies pour les adapter à cette situation de rivalité inter-impérialiste. La démarche étatsunienne pour établir son hégémonie économique, politique et militaire se fait de plus en plus sentir dans notre région; mais comme toute hégémonie, elle est paradoxalement très fragile, et compte fortement sur “l'imposition du consentement ”, ainsi que nous l'avons vu dans le contexte de la formation d'un “coalition du vouloir” pour lancer l'invasion militaire de l'Irak. La démarche des EUA a été élaborée voici de nombreuses années par des groupes de réflexion d'extrême-droite et bien des aspects des stratégies de nos classes dirigeantes régionales représentent l' application régionale de cette stratégie globale.

La régression et la récession économiques dans les centres du nord de l'Europe, les EUA et le Japon sont de plus en plus marquées: comme les stratégies de la classe dominante régionale poussent plus fortement à l'intégration accrue de la région dans le marché global, il ne peut y avoir aucun doute quant à qui ils ont l'intention de faire porter le fardeau du déclin des taux de profit des compagnies étatsuniennes, européennes et japonaises: ce seront les masses travailleuses. 

 

Les traits de la Globalisation 

 

La Globalisation néolibérale représente aujourd'hui l'imposition d'un marché global concernant les marchandises, les services et les capitaux; mais un marché global qui est totalement asymétrique en ce sens que l'accumulation de capital se produit toujours plus dans les économies industrialisées des pays du G-7 (plutôt que du G-8) et aussi en ce sens que les Entreprises Multinationales sont de plus en plus en mesure d'imposer leur loi à tous les peuples du monde.

 

Le trait central de la présente globalisation est sans doute la domination du capital financier sur la capital productif: ce qui, au début des années 70, a été décrit comme le “Nouvelle Division Internationale du Travail” où le capital délocalisait la production vers des régions à main-d'oeuvre et matières premières bon marché, s'est transformé maintenant en formes spéculatives d'accumulation où le capital financier erre autour du globe à la recherche d'investissements avec des retours élevés et rapides. Ce “capitalisme de casino” est bourré d'argent noir et sale, et son introduction dans les bourses et dans des opérations off-shore (NdT.: délocalisées) tire bien souvent les classes dirigeantes régionales et leurs institutions à un stade de criminalité économique auquel elles n'ont pas été habituées.

Le second trait important de la globalisation néolibérale est la stratégie généralisée de privatisation et de libéralisation: c'est certainement le bord tranchant de la stratégie de la classe dominante. L'Etat est pressurisé pour se retirer de toutes les activités économiques, et même de se retirer de la fourniture de services essentiels comme l'instruction, la santé, l'électricité, l'eau, le logement et les retraites. Lorsque ces services publics et services sont privatisés, la bourgeoisie voit des investissements dans de tels domaines très avantageux, puis qu'elle obtient le contrôle monopolistique d'un marché captif. La plupart du temps les privatisations de services impliquent des partenariats stratégiques entre capital privé régional et compagnies multinationales: ces compagnies multinationales trouvent ainsi l'accès facile à une région, et très souvent dans des conditions où les taux de profit sont garantis par une législation de “projet d'allègement” (NdT.: fiscal). La bourgeoisie régionale augmente donc son rôle de “compradore” (maître d'hôtel), pendant qu'en même temps elle acquiert de nouveaux muscles économiques dans ses relations avec l'état ou dans les conflits avec les utilisateurs des services essentiels.

Bon nombre de pays de notre région ont basé leur développement capitaliste passé sur des secteurs économiques qui comptent grandement sur “ des marchés protégés ” qui garantissent des prix et/ou des quotas à l'exportation. La Convention Pays africains/caraïbes/pacifiques (ACP)- Union –Européenne (Cotonou) a prévu l'entrée libre en Europe de marchandises venant d'ex-colonies de régions d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Ce fut avec ce mécanisme que se sont développées la production du sucre, les industries textiles et vestimentaires; le plus récent African Growth and Opportunities Act (AGOA) a de même prétendu ouvrir le marché étatsunien aux marchandises fabriquées dans les pays sub-sahariens, bien qu'avec des conditionnalités qui ont visé à accélérer et à consolider l'emprise ultralibérale sur les économies de ces pays sub-sahariens. Ces traités commerciaux et l'AGOA ont poussé en direction de la formation de blocs régionaux comme le SADC et le COMESA: dans ces blocs économiques les classes dirigeantes de différents pays de la région ont essayé de coordonner et d'homogénéiser leurs stratégies. C'est un trait frappant du fonctionnement de ces blocs régionaux qu'il y a une identification presque totale entre les institutions d'état, les régimes politiques et la bourgeoisie de chaque pays membre.

Mais les régimes commerciaux “protectionnistes”  sous lesquels certaines composantes importantes des classes dirigeantes ont opéré jusqu'à présent, sont dès lors remis en question par les règles de l'OMC: les systèmes de quotas qui ont protégé les industries textiles et vestimentaires de la région, disparaîtront en 2004/2005 avec le trépas de l'Accord Multi-Fibres. Les industriels du textile font déjà des cauchemars au sujet de la capacité de pays comme la Chine, l'Inde et le Vietnam d'“inonder” le marché de produits bien meilleur marché: déjà des compagnies basées à Hong-Kong qui avaient mené des industries textiles et vestimentaires dans la région pour bénéficier des avantages de l'entrée libre en Europe, ont commencé à fermer et à délocaliser en Chine et au Vietnam. Les industriels locaux tentent de délocaliser dans la région, à la recherche d'une main-d'oeuvre moins organisée et par conséquent meilleur marché et plus flexible. Mais les marchés “protégés” disparaissent plus vite que sous le simple effet de la fin de l'Accord Multi-Fibres: il y a également des initiatives des commissaires de l'Union européens comme Pascal Lamy et Girard qui proposent d'ouvrir le marché européen aux produits des “pays les moins développés” sans se soucier des traités commerciaux existants; il existe également des Accords de Libre-échange entre les EUA et des pays comme la Thaïlande qui sapent les quotas d'exportation que certains pays de la région avaient pour une entrée préférentielle sur le marché étatsunien.  

En général la pression de l'OMC pour la création d'un marché mondial unique s'exerce plus vite que l'auraient prévu les classes dirigeantes régionales: les marchés locaux et à l'exportation “protégés”  disparaissent très rapidement, et la réponse des classes dirigeantes de notre région a été jusqu'à présent d'essayer de négocier eux-mêmes des Accords de libre-échange, ou d'essayer que les compagnies européennes et américaines délocalisent leur production dans la région de sorte d'y profiter de la main-d'œuvre la moins chère. Il semblerait que nous retournions à l'époque de la “Nouvelle Division Internationale du Travail.”

Résistance à la Globalisation Néolibérale 

S'il est essentiel que nous analysions les stratégies de la classe dominante régionale dans le contexte de la globalisation, nous avons besoin aussi de garder présent à l'esprit qu'il y a une résistance croissante à l'orientation que la globalisation a prise. Commencée à Seattle en 1999 avec les manifestations de masse contre l'OMC, se déplaçant au Forum Economique Mondial de Davos, à Washington contre le FMI et la BM, continuée par Québec, Gothenburg, Barcelone, Gênes; ces manifestations de masse ont servi à défier la base idéologique de la globalisation néolibérale telle qu'imposée par l'OMC, les FMI/BM et les classes dirigeantes des pays du G7: les classes dirigeantes des pays plus pauvres, bien qu'elles se soient délibérément soumises à cette même idéologie libérale, ont vu la résistance de masse comme une occasion de négocier davantage de “miettes” et des miettes plus grosses de la table du banquet.

Mais parallèlement à la résistance de masse qui s'est manifestée dans les rues à l'extérieur des lieux des Colloques de la Globalisation Néolibérale, il y a eu également une résistance organisée qui a pris forme lors du Forum Social Mondial de Porto Alegre en Janv./Févr. 2001, avec 20 000 militants du monde entier, et à nouveau une année plus tard avec deux fois ce nombre de participants; les réunions du Forum Social Mondial ont été généralement précédées par un rassemblement du Forum Social Africain, débutant à Bamako en  janv. 2002.

La résistance de portée mondiale qui se construit contre la globalisation, et son rôle, en renforçant les diverses luttes à notre niveau régional, force les classes dirigeantes à abandonner leur défi arrogant antérieur face à l'appauvrissement rapide des masses. Par exemple, leur plan de privatisation a sans aucun doute été ralenti là où la résistance s'est développée le plus efficacement.

Le Plan de la Classe dominante

Avant de considérer le plan en tant que tel, il peut être utile de considérer brièvement les mutations dans la structure et le fonctionnement des classes dirigeantes elles-mêmes.  

 

Avec l'application de la politique économique néolibérale, il se produit des changements dans l'équilibre des forces entre différentes composantes des classes dirigeantes. Si nous prenons l'exemple de l'Ile Maurice, et je crois qu'il y a des ressemblances frappantes avec la situation ici en Afrique du Sud, il y a une composante particulière de la bourgeoisie qui a fortement dépendu du soutien du régime politique: ce que nous appelons le “bourgeoisies d'Etat”, par opposition à la “Bourgeoisie historique” laquelle était déjà bien développée, puissante et avec des liens régionaux et internationaux dans les temps précédant l'indépendance. Tandis que l'"intervention de l'état” décroissait dans le champ économique conséquemment à l'idéologie néolibérale et la pression directe d'institutions comme le FMI, la capacité de la “bourgeoisie d'état” à s'étendre économiquement a été limitée de plus en plus en comparaison de l'expansion de la “bourgeoisie historique”, avec son plus grand accès aux emprunts et avec ses partenariats financièrs avec la capital étranger.

Mais le changement sans  doute le plus important qui s'est produit dans le camp de la classe dominante sous la globalisation a-t-il été le rôle de l'intelligentsia de la classe moyenne. Tandis que l'idéologie néolibérale frisait des niveaux quasi hégémoniques, une fraction majeure des classes moyennes s'est ralliée aux thèses de cette idéologie, et a commencé à la propager activement, soit dans des institutions pédagogiques, soit dans la presse et la publicité ou soit encore à travers des “clubs du service” comme le Rotary et le Lions ou enfin à travers des Agences de Conseil professionnel. Au niveau du langage réel c'est très manifeste: voici quelques exemples de ce qu'ils disent:  “La globalisation est opportunités et défis”; “le libéral est synonyme de liberté”; “ la démocratie multipartis libérale est la solution à la dictature à parti unique”; le capitaliste d'hier est devenu l'entrepreneur d'aujourd'hui; “la globalisation est inévitable, donc autant en profiter au maximum”; la privatisation et la déréglementation sont décrites comme des réformes, donc toute personne leur résistant est un conservateur défendant des intérêts corporatistes; il est référé à la réduction massive d'ouvriers comme à une restructuration et une réduction nécessaires; ceux qui sont retranchés vont alors dans le secteur informel, plutôt que dans les statistiques du chômage; la législation qui protège l'emploi et a établi des salaires minimum et des conditions du travail produit la rigidité du marché du travail; abolir une telle législation engendre la flexibilité et facilite la création de travail; des “poches de pauvreté” et d''“exclusion” ont remplacé les masses pauvres; l'allégement de la pauvreté par des ONG caritatives a remplacé la politique de l'Etat d'éradication de la pauvreté; l'état providence est remplacé par “ des filets de sécurité sociale ”; et ainsi de suite, et ainsi de suite. Par une distorsion délibérée du langage, les classes dirigeantes et leurs agents de l'intelligentsia de la classe moyenne, essaient de modifier la manière dont nous voyons notre monde. À toute demande légitime des actifs, leur réponse est: “Personne ne nous doit nos moyens d'existence” ou “le genre déjeuner gratuit, çà n'existe pas.”                                                                    

Les progrès technologiques sont également utilisés à mystifier et à créer de nouvelles différenciations de classe: être “illettré de l'ordinateur” aujourd'hui vous condamne au travail temporaire à bas salaire ou à être déclaré inapte à l'emploi. Le vaste fonds d'informations disponible sur l'Internet devient de plus en plus disponible à un tout petit nombre, créant une nouvelle forme d'apartheid basée sur la connaissance.  

 

Parmi les idéologues de nos classes moyennes régionales, il y a maintenant une armée de bureaucrates porte-serviettes employés par des Institutions Financières Internationales, comme les FMI, BM et OMC, qui de temps en temps descendent dans un pays pour voir si les prescriptions sont bien suivies, ou pour conseiller comment rédiger la nouvelle législation anti-travail, comment réformer les modalités des retraites et privatiser des infrastructures et des services. Il y a même certains de ces bureaucrates anonymes qui résident dans divers ministères et les départements d'état. Les négociations à l'OMC est aussi complètement sous le contrôle de ces bureaucrates sans mandat démocratique: les règles du Commerce deviennent alors obligatoires après qu'elles ont approuvées par les gouvernements dont les membres élus n'ont même pas étudié et compris les contenus des nouvelles Règles Commerciales de l'OMC. Les classes dirigeantes se cachent de plus en plus derrière et utilisent cette armée de bureaucrates pour imposer leur plan.

 Quel plan?

Si nous considérons le véritable plan de la classe dominante régionale, nous y trouvons des tendances communes manifestes qui correspondent à l'idéologie néolibérale dominante. Mais il y a aussi des zones occasionnelles de conflit entre différentes composantes et différents pays que nous examinerons plus tard. 

La principale pression des classes dirigeantes vise à transférer le capital des dépenses publiques à la sphère du secteur privée: en résistant à Treasury Bills and Bonds ( Bons du Trésor à court et à long termes), en faisant pression pour des impôts sur le revenu et sur les société de plus en plus bas, en faisant campagne contre des droits à la retraite universels, contre les soins médicaux et l'instruction gratuits. La propagande de la bourgeoisie est que si le secteur privé est “évincé” du crédit et des emprunts accessibles auprès des banques commerciales, elle ne peut plus investir et créer de l'emploi. Mais en même temps chacun sait pertinemment que la plupart des nouveaux investissements sont en fait utilisés soit pour réduire des coûts de production au moyen de réductions d'effectifs, la fameuse "augmentation du chômage" ( ou des sans emploi), soit pour investir dans la privatisation des services publics, là encore le résultat étant des suppressions d'emplois.

La politique de la classe dirigeante de réduire les coûts de production ne crée pas seulement du chômage massif, mais elle attaque aussi la sécurité de l'emploi: de plus en plus est utilisé le contrat de travail à court terme, de plus en plus le travail sous contrat est importé d'autres pays. Dans l'industrie mauricienne du textile et  du vêtement, près du cinquième de la main-d'oeuvre se compose d'ouvriers sous contrat de 2 ans venant de Chine, du Sri Lanka et du Bangla Desh. En plus du travail sous contrat importé d'autres pays, les classes dirigeantes délocalisent la production dans d'autres pays de la région où le travail est meilleur marché à cause du chômage ou à cause du manque d'organisation syndicale, et où ils peuvent jouir de périodes d'exonération fiscale plus avantageuses. C'est ainsi qu'en de-çà des confins de notre région, les classes dirigeantes organisent leur propre “Division Régionale du Travail”, une sorte de sous-impérialisme. Mais délocalisation de la production et travail sous contrat créent en fait une pression terrible, écrasante, sur les salaires et les conditions de travail pour tous les ouvriers de toute la région.  

Le plan de privatisation des classes dirigeantes est à facettes multiples : racheter des services publics une fois que l'état les a rendus bénéficiaires, prendre des participations dans des sociétés régionales ou multinationales pour investir dans de nouveaux secteurs, essayer autant que possible d'obtenir des conditions de “Projet d'allégement fiscal” pour la garantie de profits et enfin partager les risques “sans en prendre vraiment” en s'engageant dans des partenariats secteurs public-privé. Nous pouvons nous attendre à ce qu'avec le temps il y ait des consortiums régionaux pour investir dans une variété de secteurs économiques, incluant les fortement spéculatifs. A présent le gouvernement mauricien a ouvert la voie aux Barons du Sucre pour qu'ils parcellisent et convertissent des terres agricoles, construisent des bungalows du luxe à vendre à quiconque dans le monde entier peut avoir les moyens de les acheter et il obtiendra alors le statut de résidant permanent. La même chose se produit avec les terres côtières sur lesquelles se sont vite jetées les sociétés d'hôtels pour touristes possédées habituellement en participation par des capitaux locaux et étrangers; il y a tout lieu de penser que la même chose se produira dans plusieurs pays de la région.

Au cours des 30 dernières années, environ, les FMI-BM ont fait pression sur la plupart des pays africains pour des stratégies de développement industriel axées sur l'exportation: la bourgeoisie régionale colle à cette stratégie même à une époque où les marchés européen et étatsunien rétrécissent et où la concurrence émanant de producteurs à grande échelle comme la Chine et l'Inde représente une menace directe pour la survie même de ces industries d'exportation. Pour les masses populaires, les industries d'exportation représentent une menace constante: ils maintiennent très souvent leur rentabilité au moyen de la constante dépréciation de la monnaie locale qui à son tour nourrit l'inflation et la perte du pouvoir d'achat et baisse le niveau de vie des ouvriers et des chômeurs.  

 

L'attitude de la bourgeoisie régionale envers le NEPAD est également tout à fait instructive: toutes les mesures gouvernementales qui viseront à attirer l'investissement direct étranger, établiront nécessairement un environnement économique, social et politique convivial pour les affaires. Cela inclura la libération supplémentaire de la législation du travail et des mouvements de monnaie étrangère et en général des mesures qui garantissent les investissements et les taux de profit. Que le NEPAD attire ou n'attire pas des investissements directs étrangers en ces jours de stagnation économique globale, les classes dirigeantes régionales risquent de bénéficier des mesures prises par les gouvernements régionaux dans le cadre du NEPAD.

 

Conflits

Comme déjà mentionné, le plan des classes dirigeantes régionales n'est pas monolithique et homogène: des développements récents dans deux secteurs économiques importants ont fait affleurer des conflits et des contradictions qui pourraient avoir des effets de grande envergure sur la future structure des alignements régionaux.  

Un certain nombre de pays de la région ont un marché du sucre préférentiel en Europe et aux EUA : c'est sous la forme d'un quota garanti à un prix garanti qui, bien qu'il soit constamment décroissant, est encore une bonne affaire en comparaison du prix du sucre sur le marché libre mondial. L'Ile Maurice est l'un de ces pays qui ont un quota de sucre relativement élevé selon la Convention de Cotonou (Pays ACP-EU). L'Afrique du Sud, d'un autre côté, aussi un grand producteur et exportateur de sucre, doit vendre la plupart de ses exportations de sucre sur le marché mondial; elle appartient au Groupe de Cairns, de pair avec l'Australie, le Brésil et la Thaïlande, tous grands producteurs de sucre.

Le Groupe de Cairns a depuis longtemps à présent remis en cause les arrangements de la Convention de Cotonou qui ont maintenu artificiellement bas le prix du sucre sur le marché mondial par le biais de subventions agricoles au sein de l'Union européenne. Bien que le conflit d'intérêts entre les barons du sucre du Natal et de l'Ile Maurice ait été jusqu'à présent soigneusement camouflé, une plainte a été déposée à ce sujet par le Brésil auprès de l'OMC qui pourrait rendre le camouflage inopérant dans un proche avenir.

Au Forum de l'African Growth and Opportunities Act (AGOA) (Acte de la Croissance et des Opportunités africaines) qui s'est tenu à l'île Maurice en janvier de cette année, une autre aire de conflit avec la bourgeoisie régionale a été exposée, cette fois dans l'industrie textile et vestimentaire d'exportation. L'AGOA, un autre pan de législation sensé lié au développement en Afrique, mais voté au Congrès étatsunien à Washington, autorise l'accès sans restriction au marché étatsunien de marchandises fabriquées dans les pays sub-sahariens. En dehors des exigences attachées à l'éligibilité qui imposent toute la gamme des politiques économiques ultralibérales, et des conditionnalités politiques qui imposent une complète subordination aux intérêts de la politique étrangère étatsunienne et aux considérations de la sécurité nationale étatsunienne, cette loi pose aussi comme condition à cette entrée sans restriction sur le marché étatsunien que les vêtements devront être faits avec du tissu produit dans un pays africain éligible ou aux EUA eux-mêmes. Cette condition toutefois ne s'applique pas aux pays très pauvres de la région, avec un PIB par tête de moins de 1 500 US$, qui peuvent quant à eux utiliser des tissus de pays tiers. Des tissus de pays tiers qui sont très souvent utilisés, viennent de pays asiatiques et sont bien meilleur marché. Cette dérogation était supposée prendre fin en 2004. Au Forum de l'AGOA à l'île Maurice en janvier de cette année, nous avons assisté en direct (à la télé) à une sordide confrontation entre, d'un côté, les patrons de l'industrie textile de l'île Maurice et d'Afrique du Sud qui protestaient avec véhémence contre l'extension au-delà de 2004 de cette dérogation particulière, et de l'autre côté, les patrons kényans qui militaient pour l'extension. La résolution de ce conflit est maintenant entièrement entre les mains de George W.!

Mais en fait ces conflits sont d'une nature secondaire, aussi irréductibles puissent-ils paraître à l'époque: les classes dirigeantes ont les moyens de régler leurs conflits, pour le plus grand avantage de la classe. En tout cas, ces conflits portant sur l'accès préférentiel aux marchés seront tous résolus soit avec les règles de l'OMC, soit en dehors d'elles, toutes ces conventions et arrangements de marché préférentiel: l'AGOA et le Traité de Cotonou deviendront en fait des “coquilles vides”, ainsi que nous l'avons prédit lors des débats sur l'AGOA en janvier dernier et quand nous avons dénoncé la myopie des classes dirigeantes régionales.

Impact sur les travailleurs

Malgré la résistance populaire au plan des classes dirigeantes, malgré les luttes courageuses menées par les syndicats, les masses pauvres sont bonnes pour payer un prix lourd pour l'intégration économique additionnelle de notre région dans la cruelle machinerie de la globalisation néolibérale, en ces temps de stagnation et de récession à l'échelle mondiale. Le chômage atteint de nouveaux sommets, tandis que les usines textiles et sucrières ferment, tandis que la privatisation provoque des réductions d'effectifs, tandis que la délocalisation augmente la pression sur les salaires et les conditions de travail. Le fardeau de l'impôt pèse de plus en plus lourdement  sur les pauvres, tandis qu'avec les classes dirigeantes et leurs gouvernements la taxation passe de directe à indirecte. La privatisation des services publics et la politique de “récupération des coûts” causent des augmentations massives du coût de l'eau, de l'électricité et du téléphone, à une telle 'ampleur qu'un nombre croissant de pauvres et en de chômeurs n'y ont plus accès. Un logement décent accessible est de plus en plus hors de portée d'une majorité de gens. La part imputée à l'utilisateur des soins médicaux et de l'instruction deviennent vite des luxes inabordables pour de plus en plus de gens, les nouvelles pandémies comme HIV - AIDS et les anciennes comme la malaria et la tuberculose menacent l'existence même de communautés entières. La sécurité alimentaire pour les masses est inexistante, et la malnutrition redevient rapidement rampante.

Une attaque de cette échelle contre les travailleurs par les classes dirigeantes se heurtera inévitablement à de la résistance: des manifestations de rue, des grèves, des mouvements de boycottage ont répondu jusqu'à présent à la répression brutale. Des législations soit-disant “anti - terroristes” préparent le sol de régimes policiers. La presse bourgeoise sape constamment la légitimité des mouvements et des actions de protestation.

La résistance par des moyens démocratiques bourgeois traditionnels est vite devenue encore plus vide de sens qu'elle ne l'avait été jusqu'à présent : le problème central de nos jours est que la démocratie formelle, et on peut douter de son efficience, ne fonctionne qu'à une échelle nationale. Les menaces viennent aujourd'hui d'un plan de la classe dirigeante régionale et internationale, comment au moyen de procédures démocratiques formelles à un niveau national, résistons-nous aux conditionnalités de l'AGOA, une législation qui a été votée par le Congrès étatsunien à Washington, comment nous battons-nous contre la philosophie qui sous-tend le NEPAD, basé sur un document proposé par une poignée de chefs de gouvernement des quatre coins du continent et rédigé par des bureaucrates anonymes dont la seule fidélité semble réservée aux doctrines la de globalisation néolibérale?

Même la démocratie libérale est vue par les classes dirigeantes comme un obstacle à leur plan: Des mouvements existent qui visent à la rendre encore plus sensible aux stratégies de la classe dirigeante nationale, régionale et internationale et moins soumise à la pression des masses d'électeurs.

Récemment nous avons eu, à l'île Maurice, la visite de quelqu'un que vous pouvez très bien connaître: Albie Sachs. Sa mission était de présider un comité dévolu à faire des recommandations pour des réformes électorales à l'île Maurice: parmi les recommandations de son comité figurent des mesures comme une augmentation astronomique des dépôts d'argent exigés des candidats en général et aux élections municipales; le financement par le gouvernement des grands partis avec des procédures qui établiraient le contrôle inacceptable de l'état sur le fonctionnement des partis politiques; un système de représentation proportionnelle qui pénalisera lourdement des petites partis, tout en permettant l'entrée dans l'Assemblée Nationale et le cabinet ministériel, à des technocrates inconnus peu enclins à affronter l'électorat dans une campagne électorale. En général, les recommandations de la Commission Sachs introduiront la dynamique dans le système électoral qui diminuera son contenu démocratique, tout en exposant les futurs gouvernements élus à une plus grande pression des bureaucraties et des puissants groupes de pression des classes dirigeantes.  

 

En général la résistance au plan des classes dirigeantes et aux menaces de la globalisation néolibérale a été fragmentaire, et de nature essentiellement défensive. Il y a eu le manque de développement d'une alternative globale, une alternative qui ne peut plus être purement nationale : elle doit être au moins régionale, si ce n'est internationale. Ce manque relatif de la recherche d'une alternative économique, sociale et politique, signifie même que nos luttes défensives manquent de crédibilité et d'efficacité. 

Tâches politiques des Mouvements sociaux

Dans cette dernière partie de mon exposé, ce n'est bien sûr pas mon intention de mettre des recettes toutes faites sur la table : il sera plus utile de poser de nouvelles questions et d'ouvrir des perspectives de débat.  

 

Les mouvements sociaux doivent poser des questions politiques concernant le rôle des classes dirigeantes dans l'appauvrissement de nos populations, le rôle de l'état national et des institutions internationales dans la mise en oeuvre des stratégies de la classe dirigeante régionale et internationale, la nature de la classe des partis politiques qui composent actuellement les gouvernements de notre région. A défaut de poser ces questions, les mouvements sociaux dériveront dans la direction de l'allégement de la pauvreté des ONG, dont les actions servent de fait à “légitimer” le plan néolibéral.

Il nous faut exposer le concept de Globalisation néolibérale, “réadaptation morale de l'impérialisme”, pour voir alors si l'intelligentsia bourgeoise adoptera le slogan “l'Impérialisme est inévitable.” Précédemment dans ma présentation j'ai parlé du pouvoir des mots, comment des mots et des concepts verbaux peuvent être utilisés et peuvent être violés pour justifier l'injustifiable, pour convertir des choses en leur contraire. Nous n'opérons pas dans un vide: l'idéologie de la classe dirigeante est aujourd'hui dominante dans notre région et en fait dans le monde; peut-être pas avec les mêmes arrogance et triomphalisme que quand la “Fin de l'Histoire” a été annoncée voici quelques années. Peut-être la tâche politique centrale est-elle d'exposer à la lumière cette idéologie pour ce qu'elle est.

Nous avons besoin également de réhabiliter le concept de classe: l'idéologie bourgeoise nous attire constamment sur le terrain de communautés différentes, de religions différentes, de races différentes, de nationalités différentes, tout en prétendant que l'industriel, le directeur et l'ouvrier sont tous sur le même bateau. Tandis que la délocalisation et les ouvriers immigrés deviennent de plus en plus chose courante dans notre région, la xénophobie  aura tendance à se développer et à s'étendre: à moins d'y résister, cette xénophobie pourrait représenter partout un grand recul pour les pauvres.

Il ne devrait subsister aucun doute dans nos esprits que quant au développement d'un plan commun aux classes dirigeantes régionales, et à moins que nous puissions coordonner nos propres efforts d'analyse et d'action à travers la région, nos réactions vont être constamment en retard d'un ou même de deux pas. Un travail considérable a déjà été fait en direction de cette coordination régionale: en termes d'échanges, de soutien mutuel des actions et des événements, de mutualisation de l'information concernant les luttes dans les différents pays. Peut-être le temps est-il venu d'organiser cette coordination d'une manière plus consciente, de développer une “compréhension commune” des tâches qui nous attendent tant au niveau régional qu'au niveau international. Somme toute nous ne devons pas éviter le piège du nationalisme uniquement pour tomber dans le piège du “régionalisme.” Ceci dit, il n'y a aucun doute qu'une région qui devient rapidement une entité économique avec une stratégie de la classe dirigeante commune, devrait être un jeu de construction pour nous aussi.

Il y a une nécessité urgente à approfondir le débat à propos du rapport entre les mouvements sociaux et les partis politique socialistes révolutionnaires. Il ne fait aucun doute qu'avec l'effondrement ou la complète déviation des partis communistes vieux style du moule stalinien, et la faillite des partis sociaux- démocrates traditionnels, tout le concept de partis ou mouvements de masse démocratiques a besoin d'être réexaminé. Car cela fait trop longtemps qu'il y a eu une “fausse dichotomie” entre organisations politiques et mouvements sociaux: peut-être est-ce compréhensible que les mouvements sociaux en soient venus à voir des partis politiques comme des organisations dont le but principal était de s'emparer du pouvoir d'état plutôt que de le transformer, tandis que les partis socialistes révolutionnaires ont critiqué des mouvements sociaux pour leur répugnance à répondre à la question du pouvoir de l'état. C'est bien possible.  

Mais la nature du développement récent du mouvement anti - globalisation a obligé jusqu'à un certain point des organisations politiques à être sur le même champ de bataille que les mouvements sociaux, tandis que la recherche d'alternatives aux Forums Sociaux Mondial et Africain a amené des Mouvements Sociaux à penser davantage en termes de programme.

Mais peut-être que les problèmes causés par cette “fausse dichotomie” commenceront à disparaître une fois que les masses sortiront de leur stade défensif et se lèveront pour attaquer les fondations de la société bourgeoise. D'ici là, les tâches qui nous interpellent tous, sont d'exposer le plan des classes dirigeantes et de lutter contre les effets désastreux qu'il a sur les travailleurs, et simultanément de travailler ensemble à l'élaboration d'une alternative à la globalisation néolibérale, et de nous engager nous-mêmes à lutter pour une société sans classes où la justice et l'égalité prédomineront.                                        

    

Ram SEEGOBIN 

LALIT, Ile Maurice, 

préparé pour l'école d'hiver 2003  du Kanya Collège

 

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Discours de Ram Seegobin au Library Gardens de Johannesbourg le 5 juillet 2003

devant 1000 manifestants anti-Bush:


Camarades, je vous apporte les salutations de solidarité du parti LALIT à l'île Maurice, de la part de tous les militants, ouvriers, gens pauvres, jeunesse, femmes qui se dressent pour lutter contre l'impérialisme étatsunien.

 

Au début de cette année Bush devait visiter l'Afrique du Sud et l'Ile Maurice, dans le contexte du Forum AGOA ce petit morceau de législation étatsunienne que nous avons appelé “L'Acte de Recolonisation de l'Afrique.” Il n'est pas venu: Pourquoi?

 

Parce qu'il était trop occupé, avec Blair, Colin Powell, Riz Condoleeza, Wolfowich, Donald Rumsfeld, et le reste des bandes de Washington et de Londres, trop occupé à organiser le meurtre du peuple d'Irak.

 

A l'île Maurice aussi nous avions préparé un comité de réception à l'importun Bush; pourquoi est-ce que nous avons considéré qu'il n'était alors pas le bienvenu à l'île Maurice?

 

Bush représente aujourd'hui le visage nu et laid de l'impérialisme étatsunien.

 

La surface de Mère-Terre meurt lentement des gaz à effet de serre: Bush et les barons étatsuniens du pétrole comptent leurs dollars et rient tout au long du chemin qui mène à la banque.


Des gens en Afrique et dans le monde entier meurent du HIV - AIDS: Bush et les multinationales pharmaceutiques comptent leurs dollars, et rient tout au long du chemin qui mène à la banque. Des femmes, des enfants et des vieillards meurent sous les bombes et les balles en Afghanistan et en Irak: Bush et ses marchands de guerre comptent leurs dollars et rient tout au long du chemin qui mène à la banque. Bush est occupé à corrompre et faire chanter des gouvernements pour qu'ils signent des traités qui garantiront l'immunité aux criminels de guerre étatsuniens, devant  l'International Criminal Court (Cour criminelle internationale) instaurée récemment.

 
L'impérialisme étatsunien a construit une des plus grandes bases militaires sur l'île de Diego Garcia, dans l'Océan indien. Cette île qui a été détachée illégalement de l'île Maurice par le colonisateur britannique, est maintenant occupée illégalement par l'armée étatsunienne. A l'île Maurice, LALIT a mené une longue campagne pour demander le démantèlement de cette base militaire qui représente une menace mortelle pour tous les peuples de la région; plus tard dans l'année nous pouvons organiser d'obtenir un bateau pour visiter cette base et demander à Bush de la fermer à l'armée étatsunienne. Le temps est venu pour nous de construire un mouvement fort et coordonné dans notre région, de mener campagne pour le démantèlement de la base de Diego Garcia, de mener campagne contre la présence militaire de l'impérialisme étatsunien dans notre région, de nous battre contre l'impérialisme étatsunien lui-même.

 

Vous, ici en Afrique du Sud, et nous, à l'île Maurice, avons la responsabilité particulière de mener cette lutte parce que les gouvernements de nos pays agissent comme des agents de l'impérialisme étatsunien: nous devons les dénoncer, nous devons combattre Bush et son empire du mal.

Non à George W, le fils d'un Bush.

Merci camarades.  

 

 

 

   Traduction militante de Briard P. Christian, ATTAC-île de la Réunion

Courriel à : briard.christian@wanadoo.fr